Crises écologiques, économiques, financière ou démographiques, Pablo Servigne et Raphaël Stevens nous expliquent dans leur livre comment notre civilisation est en train de chuter et comment s’y préparer avec sérénité.
Introduction
Malgré tous les signes que prouvent que nous allons droit dans le mur : ouragans, inondations, déclin des abeilles, chocs boursiers, guerres, il est impossible de parler de grandes catastrophes sans se faire passer pour des « catastrophistes ». Pourtant, nous sommes bien confrontés à de sérieux problèmes environnementaux, énergétiques, climatiques, géopolitiques, sociaux et économiques.
Un effondrement n’est pas une catastrophe ponctuelle. C’est un processus à l’issue duquel les besoins de base (eau, alimentation, logement, habillement, énergie) ne sont plus fournis à un coût raisonnable à une majorité de la population pour des services encadrés par la loi.
Toutes les civilisations qui se sont effondrées avaient deux traits communs : un orgueil démesuré et un excès de confiance en elles – Jérémy Grantham
Nous sommes passés à une nouvelle époque géologique de l’Holocène (période stable climatique durant 12000 ans) à l’anthropocène.
Attention, sujet sensible
La collapsologie vient de « collapsus » qui signifie « qui est tombé en un seul bloc ». C’est un chemin submergé par des vagues d’anxiété, de colère et de tristesse puis d’acceptation, d’espoir voire de joie.
Les auteurs, au fur et à mesure de leurs recherches, s’éloignaient de la doxa, l’opinion générale.
Partie 1 Prémices d’un effondrement
1. L’accélération du véhicule
Nous avons dépassé la capacité de charge de notre écosystème et depuis l’an 2000, nous continuons à accélérer notre croissance en toute connaissance de cause.
Hartmut Rosa ; les trois dimensions de l’accélération sociale sont :
- Les vitesses de déplacement et de communication qui provoquent un rétrécissement de l’espace
- Le changement social, les habitudes, les schémas relationnels comme les voisins, les métiers, les styles de musique qui entraînent le rétrécissement du présent
- La volonté de vivre plus vite, de remplir nos agendas, de ne pas perdre de temps
La machine à vapeur servira à définir un âge pour l’Histoire – Henri Bergson
2. L’extinction du moteur
Les réserves de pétrole diminuent, le schiste, les panneaux solaires et les éoliennes sont gourmands en production pour leur création, ils font disparaître les métaux rares et polluent énormément.
Le TRE, le taux de retour énergétique est le rapport entre l’énergie produite et l’énergie investie pour exploiter les ressources. Le pétrole aux USA au au début du 20e siècle était de 100 :1, aujourd’hui il est de 11 :1.
Avant la pénurie énergétique, c’est le système financier qui s’étouffera. Le prix du baril est d’ailleurs souvent en corrélation aux périodes de récession.
3.La sortie de route
Nous avons des limites à ne pas franchir et nous les avons dépassées. Le climat a augmenté de 0.65°C depuis 1880, et nous prévoyons une augmentation de 2°C d’ici 2050. Dans un monde à +2°C, les risques de conflit seront considérables. L’Inde a déjà construit une barrière de deux mètres avec le Bangladesh.
Déplacement de population, ouragans, problèmes agricoles. La biodiversité permet de réguler les écosystèmes : qualité de l’air, stabilité climat local et global, séquestration du carbone, fertilité sols. Mais nous ne la respectons plus.
4.La direction bloquée
Il existe des technologies plus performantes que celles actuelles mais nous ne les utilisons pas à cause du « verrouillage sociotechnique », il s’agit de l’ancrage totale et puissante d’une technologie. Nous montons une échelle dont les marches descendantes disparaissent et plus nous montons, plus la chute sera dure.
5.Coincés dans un véhicule de plus en plus fragile
Tous les secteurs et les régions de notre civilisation globalisée sont devenus interdépendants et donc très vulnérables : système financier (crise de 2008), système d’approvisionnement (inondations en Thaïlande en 2011 qui a empêché la production de disques durs, ce qui a diminué la production des PC et augmenté les prix), système d’infrastructures (système SWIFT, volcan islandais en 2010).
Partie 2 : alors, c’est pour quand ?
6.Des difficultés d’être futurologues
On est dans l’aléa moral : on se comporte comme si l’on n’était pas soi-même exposé au risque. La science n’a pas les outils pour tout prévoir. On prédit l’effondrement depuis 1970. Le but du livre est d’augmenter son savoir et affiner son intuition pour agir avec conviction.
L’effondrement est certain, c’est pour cela qu’il n’est pas tragique. Il pourrait devenir une nouvelle normalité. Il ne faudrait pas l’annoncer trop tôt car il pourrait déclencher une panique des marchés et ainsi se dérouler sans pouvoir s’y préparer.
7.Peut-on détecter les signaux avant-coureur ?
Un réseau complexe comme le notre offre une résistance plus forte au changement et des transition plus critiques. Il agit plus comme un chêne que comme un roseau. Il est difficile de détecter des signes avant-coureurs car il pourrait déjà être trop tard ou si l’effondrement pourrait même se dérouler sans prévenir tout comme la crise financière de 2008. En conclusion : en temps d’incertitude, c’est l’intuition qui compte.
8.Que disent les modèles ?
Les indices de santé d’un pays chutent non pas lorsque le PIB chute, mais lorsque le niveau d’inégalités économiques augmente.
C’est la structure même du capitalisme, son ADN, qui favorise l’augmentation des inégalités – Thomas Pikkety
Partie 3 : collapsologie
9.Une mosaïque à explorer
Comment faire pour qu’après l’effondrement, le monde ne ressemble pas à Mad Max ? L’absence de gouvernement ou d’États n’implique pas nécessairement un retour à la Barbarie.
Nous sommes dans une situation inextricable, irréversible pour la quelle il n’y a pas de solution, mais juste des mesures à prendre pour s’adapter.
Souvent, on décrit la convergence des catastrophes avec des euphémismes optimistes (métamorphoses, mutations, transitions, décroissances), mais ceci n’est pratique que dans le cadre de « politique de l’effondrement ».
Lorsque la quantité d’énergie de ressources ne suffisent plus, la civilisation emprunte au futur et vit une implosion. S’ensuit alors une grande période de « simplification » de la société comme après la chute de l’Empire romain et ce qui a suivi au Moyen-Âge : moins de spécialisation économique et professionnelle, moins de contrôle centralisé, moins de flux d’information, moins de commerce.
Les cinq stades de l’effondrement sur l’échelle d’Orlov sont : financier, économique, politique, social et culturel. La culture, le côté humain et ses valeurs disparaissent donc en dernier. D’autre part, le nucléaire pose un problème de taille : après l’effondrement, qui prendra en charge le travail des centaines de techniciens et d’ingénieurs pour l’extinction des réacteurs, un travail qui prend des mois entiers.
10.Et l’humain ?
Parler de démographie est un sujet politique sensible, pourtant, nous serons neuf milliards en 2050 et entre dix et douze milliards en 2100. La Belgique par exemple, est le quatrième pays le plus dense au monde avec neuf habitants par hectare. Être moins nombreux et consommer plus n’est pas suffisant, le contrôle de la démographie est une phase obligatoire pour la survie de notre espèce.
Heureusement pour l’instant, les catastrophes ont dévoilé plus d’entraide et d’altruisme que de compétition et d’agression.
Pourquoi les gens ne croient pas en l’effondrement ?
- L’aspect cognitif : notre cerveau est performant pour traiter les problèmes immédiats, écouter l’instinct plutôt que la raison.
- Le déni : il est impossible de croire que le pire va arriver
Malgré cela, nous prenons des assurances vie, des assurance incendie, alors que la probabilité est très faible. Aurions-nous alors un seuil de catastrophisme au-delà duquel l’esprit se braquerait ? On fait face à une impasse : soit on dit les choses sans détour et on se fait taxé d’oiseau de mauvaise augure en perdant sa crédibilité. Soit on édulcore la vérité et on se trouve dernier des décisions politiques.
Pour changer, les gens ont besoin de solution accessibles, fiables et crédibles. Hélas, il n’y a pas vraiment d’alternative à un effondrement, juste des moyens de s’y adapter.
Comment vivre avec ?
La possibilité d’un effondrement provoque des angoisses néfastes. Il y a donc un processus de deuil à suivre : déni, colère, marchandage, dépression et acceptation. Il s’agit comme d’un passage symbolique à l’âge adulte.
Quoi faire ?
Il existe des mouvements qui travaillent sur une transition comme « les villes en transition ». Il nous faut retrouver des savoirs et des techniques : se nourrir, construire son habitat, se déplacer, etc.
David Holmgren, le cofondateur de la permaculture, propose un boycott systémique pour provoquer un effondrement rapide.
En 1940, les américains ont pu d’organiser vite et à grande échelle pour renoncer à la consommation et au gaspillage : recyclage, covoiturage, production de légumes. Toutefois, lors d’un effondrement, la démocratie sera la première victime. L’Occident transgressera ses valeurs de libertés et de justice et des sociétés cloisonnées et violentes pourraient apparaître.
Conclusion
La surpopulation mondiale, la surconsommation par les riches et les piètres choix technologiques vont entraîner l’effondrement vers 2050 ou 2100.
Il ne s’agit de tomber dans le pessimisme mais d’éviter le déni, d’accepter les faits et d’ouvrir des chemins réalistes.
Des initiatives se constituent déjà pour vivre la transition (écovillages, Alternatiba, etc). Depuis 1970, les générations précédentes ont fait le choix d’une société non durable en connaissance de cause. L’énergie fossile était même déjà critiquée à ses débuts en 1800.
C’est comme si l’ espèce humaine avait choisi de mener une vie brève mais excitante. Depuis deux siècles de « progrès », on fait la fête sans lendemain, on veut vibrer, bouger, crier toujours plus fort, pour oublier tout le reste, pour s’oublier soi-même. Aujourd’hui, il s’agit de redonner un sens à sa vie, de vivre et de grandir ensemble.