Journal – Sur le territoire des sangliers

Ce week-end, je pars avec un ami dormir en pleine forêt près de Couvin, dans le sud de la Belgique. Nous nous préparons à dormir quand tout à coup, on entend un bruit.

Je n’avais jamais mangé de nourriture lyophilisée. L’emballage en plastique orange fluo ne me donnait pas trop envie. Mais quand Diego m’avait raconté qu’il en avait déjà pris lors d’une autre randonnée, je lui ai fait confiance. Je dois avouer qu’il a souvent bon goût en général, que ce soit pour la décoration, la nourriture ou les femmes. Alors, nous préparons le repas sur le petit réchaud constitué d’une demi-cannette découpée et d’un peu d’alcool à brûler. Il n’a pas plu depuis des semaines et la forêt est plus sèche qu’un salami des Ardennes. J’avais une grosse crainte avec tous ces incendies de forêts que je lisais dans les médias, c’était de faire basculer le réchaud à terre pendant qu’il cuit et qu’il embrase le sol malgré le fait qu’on ait nettoyé le plus possible tout autour à bonne distance. Heureusement, après dix bonnes minutes, l’eau commence à bouillir et nous la versons dans nos sachets de carbonnade flamande. Je dois avouer que la viande me met presque la larme à l’œil en fondant sur ma bouche, surtout après une si dure journée de marche. Nous dégustons le repas puis nous décidons de nous mettre calmement dans nos couches.

Assis sous son hamac, Diego me lance « écoute, il y a des pas. Merde, on va se faire repérer par des promeneurs ». Les pas sont de plus en plus bruyants, comme si l’herbe sèche s’enfonçait à chaque pas. « Regarde là-bas, on dirait des voitures blanches derrière ces arbres ». J’essaie de repérer les détails, ça m’avait l’air plutôt d’être des troncs d’arbres tombés, avec un rayon de soleil sur le côté, ce qui donnait l’impression de dessiner les contours d’une Peugeot. Nous regardons tous les deux dans la même direction, lorsque subitement, une espèce d’animal, presque aussi gros qu’une vache noire, passe devant les troncs. Un sanglier. Un énorme sanglier, sûrement d’au moins deux cents kilos. Puis, juste après lui, un deuxième, tout aussi gros. « Tu as vu ce que j’ai vu? Tu as vu ces monstres? » je demande à Diego. « Pas de doute, ce sont des sangliers. Et nous sommes sur leur territoire.

La nuit commençait à venir, il était trop tard pour partir et se mettre à chercher un autre endroit. Alors, nous décidons d’attacher la nourriture à une vingtaine de mètres au cas où les bêtes viendraient  s’y intéresser. Mais ça ne nous rassure pas suffisamment. Alors, nous prenons du fil, nos gamelles et nos casseroles pour construire une alarme au cas ou ils s’approchent de nous. Après cela, nous nous mettons dans nos sacs de couchage, avec un bâton de marche prêt à l’utiliser comme arme, un sifflet et nos lampes frontales comme colliers. Nous essayons de dormir, dix minutes puis vingt minutes, mais il n’y a rien à faire, le sommeil ne vient pas. Puis, tout à coup, nous entendons une espèce de grognement qui se rapproche de celui d’un chien. Nous sortons d’une traite de nos duvets, nous prenons nos bâtons et nous furetons les alentours avec nos lampes frontales. C’est là que je vois, à côté de la nourriture, deux yeux brillants qui se tournent vers nous. « Là-bas! Des yeux! Ils sont là!” Nous prenons alors nos sifflets pour faire du bruit et les faire fuir, ce que nous réussissons, car après cela nous ne voyons plus rien ni n’entendons plus aucun bruit. Nous nous regardons et nous savons exactement ce que l’autre pense « On doit partir d’ici, et maintenant!”

En deux temps, trois mouvements, nous replions nos bagages, nos sacs de couchage, nos tentes et notre matériel. Pendant que l’un plie ses affaires, l’autre surveille tout autour avec son bâton en main. Ils pouvaient rappliquer de n’importe où. Il faisait noir de chez noir, il n’y avait aucun réseau téléphonique, nous étions au beau milieu de nulle part à au moins une heure de marche de la civilisation. Si l’un d’entre nous était gravement blessé, c’était terminé.

Alors, une fois nos affaires repliées, nous marchons vers ce que nous pensons être le chemin du retour. Nous avançons. Mais après une centaine de mètres, nous ne reconnaissons plus l’endroit. Nous étions perdus. Perdus en pleine nuit, sans moyens de communication, dans le froid et avec des animaux tout autour qui nous prennent pour des envahisseurs. « Ici, c’est leur maison, on est chez eux. » me lance mon ami. Nous marchons encore un peu, puis le miracle. Nous retrouvons un semblant de sentier pris il y a quelques heures. Mais ce n’était pas encore terminé. Il nous faut encore traverser toute la forêt. Nous marchons pendant une heure, toujours à l’affût, à travers des sentiers qui n’étaient sans doute quasi jamais utilisé vu la hauteur des herbes qui montaient jusqu’aux hanches. Nous rencontrons des araignées velues tout droit sorties du film Arachnophobie. Après une heure de marche, c’est la délivrance, une route asphaltée. Je m’entends dire « C’est la première fois de ma vie que je suis aussi heureux de voir du pétrole ».

En résumé, même les minimalistes font parfois de la randonnée. D’ailleurs, il faudra que j’investisse dans de nouveaux objets: un véritable sac de camping plus léger que le Filson que j’utilise quasi tous les jours, un sac de couchage plus chaud et un bon tapis de sol. Peut être aussi un fusil de chasse ou une mitrailleuse, j’hésite encore.