« Émancipez vous », cette idée est vendue comme un rêve magnifique, le chemin vers le bonheur ultime. Pourtant, il s’agit d’une des plus grosses arnaques du siècle.
Libérée, délivrée
Aaaah s’émanciper, on en parle partout et tout le temps. Dans les chansons, dans les films, dans les médias, dans les livres, dans les publicités, bref dans tout l’esprit moderne. Combien de slogans apparaissent plusieurs fois par jour pour nous rappeler qu’il est important de penser à soi, qu’il faut vivre son rêve, qu’il faut qu’on nous accepte tel qu’on est, qu’on est libre de penser et d’agir comme on veut.
Vous connaissez sans doute ce proverbe « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». C’est une belle phrase en théorie, mais en principe, ce concept amène un véritable chaos. Car qui décide réellement de la limite? Où commence réellement la liberté des autres? Moi qui adore faire des blagues ironiques et à l’humour noir, quelqu’un d’autre va me trouver choquant, car pour lui, il y a des sujets sur lesquels il ne faut pas plaisanter. Et imaginons qu’un collègue raconte le magnifique week-end qu’il a eu avec sa famille et que personnellement, cela me dérange qu’il exprime publiquement toute euphorie, cette situation peut aussi devenir très casse-tête. Ce proverbe est donc en soi une jolie idée à placer dans une conversation, mais qui ne tient pas compte des tensions qu’elle peut créer dans la réalité si on base une société principalement sur la liberté individuelle.
Une idée de Lumière
Cette volonté de s’émanciper n’est d’ailleurs pas récente. Ce sont les Lumières avec les philosophes comme Rousseau ou Kant qui ont prôné l’importance de penser par soi-même pour se libérer des autorités traditionnelles telles que la monarchie, l’église ou la famille. Depuis, ce phénomène s’est accentué, avec par exemple l’événement de mai 68 avec ses slogans comme « famille, je vous hais » ou « jouir sans entrave ».
Vous l’avez donc compris, depuis les Lumières, l’individu doit donc être le plus autonome possible et ne dépendre que sur lui-même, car il n’y a que lui qui pourra décider de ce qui est bon pour lui et son développement personnel. Selon le principe de l’émancipation, les individus ne doivent donc dépendre de personne, ni de sa famille, ni de ses parents, ni de ses enfants, ni de ses voisins, ni de son village, ni de son travail, ni de la religion, ni de son pays, ni d’aucune culture, bref, de rien ni personne.
L’individu doit donc se créer par lui-même et doit pouvoir se réinventer éternellement sans dépendre d’aucune structure ni personne. Il doit devenir son propre Dieu, c’est lui qui décide ce qui est bien ou mal, d’ailleurs c’est encore mieux s’il n’y a plus rien de bien ou de mal et que tout est relatif (voir mon article « Le culte du relativisme nous achèvera« ). L’individu devient une sorte de pion malléable, interchangeable qui doit innover et se renouveler tout le temps, partout.
Tout le monde devient pareil
Paradoxalement, cette manière de penser rend les gens de plus en plus identiques. Avant cette idée, chacun devait être lié à une culture différente localement, dépendant d’une famille avec ses propres particularités, d’un quartier ou d’un village avec une manière de vivre bien spécifique, d’une religion qui limitait les comportements et les consommations. L’idée derrière l’émancipation est de se délier de tout et de faire finalement partie d’un gros ensemble de personnes qui veulent toutes être uniques et différentes, mais qui au fond se ressemblent.
L’ennemi numéro un du minimalisme
J’ose faire le lien avec le minimalisme. Pourquoi? Car que se passe-t-il lorsqu’une famille se divise en deux? Le nombre d’objets est tout simplement doublé. Que se passe-t-il lorsque chacun ne veut dépendre de personne, ni de sa famille, ni de ses voisins. Son nombre d’objets va aussi lui-même augmenter. Plus l’individu voudra être autonome et plus ce sera bénéfique pour le système économique basé sur le matériel et la consommation. Moins il y a de limites pour un individu, plus il y a de choix de consommation. En ce moment, c’est le grand carême chrétien, ce qui signifie ne plus consommer de viande ni de poisson. Pour l’économie, ce genre de limite est un cauchemar, car ce sont des stocks en moins à écouler.
Famille et villages éclatés
Une autre conséquence importante de l’émancipation est l’éclatement des familles. Si mon bonheur personnel passe avant ceux de mes proches, alors il devient très facile de divorcer, quitter ses parents pour s’installer dans une autre ville voire un autre pays, ou bien même mettre mes parents dans une maison de retraite pour que quelqu’un d’autre s’en occupe. J’ai même entendu un jour une personne me dire qu’il préférait qu’on l’incinère et qu’on disperse ses cendres, car il ne voulait pas dépendre de ses enfants pour qu’on vienne entretenir sa pierre tombale. Entretenir la mémoire de ses ancêtres est-il devenu une tare si importante?
Le fait de quitter sa terre natale est aussi accentué par le monde du travail qui ne se préoccupe pas de savoir si vous êtes du quartier ou si vous appartenez à une culture commune, le plus important étant d’être une pièce rentable et interchangeable.
Les vrais rebelles ne sont pas ceux qu’on croit
Finalement, cette idée d’émancipation fonctionne très bien grâce à la publicité et une présence très forte dans les livres et les médias. Être rebelle est devenu la bonne manière de se comporter en société. Mais quand 99% des membres d’une société se comportent comme des rebelles identiques, le sont-ils encore? Je pense que l’émancipation individuelle atteint de plus en plus ses limites et que les véritables rebelles sont ceux qui vont vouloir au contraire, penser aux autres et à ses proches avant soi-même, le mot proche signifiant aussi « à proximité », donc physiquement à côté. Les véritables rebelles aujourd’hui sont ceux qui vont garder leur famille unie pour la vie, ce sera ceux qui voudront habiter près de leur famille et leur terre natale, ce sera ceux qui créeront un emploi local et réellement utile pour la communauté proche, ce seront eux qui voudront croire qu’il y a une force plus haute que les hommes.
Les véritables rebelles seront ceux qui viseront l’excellence, l’effort, le long terme plutôt que le jetable, la facilité et le court terme. Les véritables rebelles seront ceux qui créeront un monde de beauté, de liens sociaux et de spiritualité. Un monde finalement libéré de l’émancipation.
