Les deux genres de minimalisme

Saviez-vous qu’il existe deux genres de minimalisme ? L’un qui est très progressiste en lien avec la mouvance moderne et un autre plus traditionnel qui remonte à l’Antiquité.

Après plus de six ans d’étude sur ce mode de pensée que j’ai appliqué à ma propre vie, je peux maintenant affirmer que je suis passé par ces deux types de minimalisme différents.

Le minimalisme progressiste et libéral

C’est sûrement le plus en vogue en ce moment et qui est le plus promu finalement. Pourquoi ? Parce qu’il correspond exactement au modèle de société individuelle, libérale, capitaliste et consumériste. Cela paraît étonnant, mais je vais vous expliquer cela en détail.

J’ai commencé à m’immerger dans le minimalisme avec les livres tels que Béa Johnson, Marie Kondo ou Dominique Loreau. Béa Johnson met l’accent sur le côté écologique, bricoleur, économique et elle parle parfois de l’aspect familial de pas sa propre situation. Dominique Loreau explique l’importance d’avoir moins, mais mieux et apporte le côté esthétique à avoir pour les objets qui nous entourent avec une certaine influence spirituelle ou en tout cas un impact sur le mental, notamment dans la fin de son livre lorsqu’elle explique l’importance de ne pas parler de manière négative à propos des personnes qui nous entourent et avoir ainsi un mode de pensée plus positif. Ses influences japonaises portées sur la qualité des détails et de l’équilibre se retrouvent aussi dans les gestes quotidiens comme ne pas attendre pour réparer une fuite d’eau ou une porte qui grince, même si cela peut paraître également quelque chose de très logique en soi. Marie Kondo, avec sa méthode, complète le trio gagnant en s’appuyant sur le plaisir comme critère de sélection dans ses choix, l’émotion est ainsi devenue reine dans cette méthode. Rajoutez à tout cela les Américains The Minimalists et d’autres youtubeurs qui nous expliquent à quel point ils sont heureux en vivant avec une valise cabine et en faisant le tour du monde librement sans attaches matérielles ou immatérielles.

C’est donc avec ces influences que j’ai commencé à vider ma vie dans tous les sens du terme jusqu’à ne plus rien posséder ou presque et même jusqu’à n’être plus rien si ce n’est un électron libre qui virevolte à son gré n’importe où. Je croyais que je pouvais devenir qui je veux en redémarrant à zéro. Lorsque j’ai quitté mon poste d’experts financier pour partir vivre à Berlin, j’ai tout laissé, mon travail, mon logement, ma patrie, mes amis, ma famille. Tout cela pour faire table rase et redémarrer une nouvelle page. Cela paraît merveilleux pour certains, mais ceci est à vrai dire totalement nihiliste. Je vous recommande de lire mes articles résumés des livres de Jean-François Mattéi ou Carlo Strenger . Lorsque je suis revenu à Bruxelles, j’ai ensuite fréquenté des relations qui respiraient le progressisme hystérique à plein nez, le sans frontière, la haine de soi au profit des autres minorités, la disparition des genres, les conflits entre les hommes et les femmes par un féminisme de plus en plus agressif, et le refus d’une spiritualité et de au profit d’une nouvelle ère bien pensante. J’ai même rencontré un jour une personne qui a décidé de se marier avec un inconnu venant d’un autre continent juste pour l’aider à avoir ses papiers et faire « un acte de bonté ». La communauté du pays n’a plus d’importance, le mariage n’a plus d’importance, la spiritualité n’a plus d’importance. Bref, nous faisons ce que nous voulons uniquement par caprice parce que nous pouvons le faire.

Ce mouvement ne parle plus d’une consommation matérielle, mais d’une consommation immatérielle. Certes, il ne s’agit plus d’acheter le dernier smartphone à la mode, mais plutôt de se libérer de toute contrainte et de toute attache, y compris amicalement et sentimentalement.

Il y a donc ici un minimalisme qui tend non plus à l’apurement et au retour à l’essentiel, mais à quasiment une destruction de soi et du monde. Une nouvelle spiritualité dégénérée (voir la vidéo « pourquoi le minimalisme est une religion ») avec sa propre morale et ses propres gourous.

Le minimalisme conservateur

Bien entendu, je ne crache complètement pas sur les papes et papesses modernes du mouvement. Comme indiqué, ce que j’apprécie par exemple chez Béa Johnson, c’est qu’elle fait le lien avec l’aspect familial. Dominique Loreau m’a aussi ouvert les yeux sur l’importance de la beauté quotidienne à avoir autour de soi, même parmi les objets.

Par contre, ce que je ne vois pratiquement jamais ou en tout cas bien trop peu, c’est le fait de tisser des liens forts et durables. Et je ne crois pas que c’est en ayant toute sa vie dans une valise et en étant globbe trotteur à temps plein qu’il est possible de tisser des liens avec des personnes ou une communauté.

« Le bonheur est dans l’amitié » – Épicure

Comme déjà indiqué dans de précédents articles, Épicure, le philosophe de la Grèce Antique, est bel et bien à l’origine du minimalisme. Il était l’un des premiers à prôner une vie simple, à se contenter d’un peu de pain, d’olives et de fromage. Pour lui, le plus important était de vivre avec ses amis. Il n’est pas contre le plaisir, mais il est pour avant tout pour la tempérance. Il est aussi quelqu’un de profondément spirituel, lorsqu’il dit par exemple que les Dieux ne sont pas à craindre.

Cette philosophie prône les liens avant la liberté. Et pas n’importe quelle liberté, la liberté par rapport au plaisir, c’est à dire à ne pas être dépendant d’elle. Nous sommes dans un enracinement avec les autres, un esprit modéré et rationnel. Il peut laisser de la place naturellement à l’émotion, mais elle doit compléter la logique et non pas la dominer. Je fais référence par exemple à la technique de Marie Kondo qui ne se base que sur l’émotion et le plaisir. Je trouve qu’elle doit aussi être complétée d’une notion plus contrôlée et logique.

Je suis donc passé d’abord par la première catégorie, en me détachant de quasi tout: objets, patrie, amis, famille, spiritualité. Et j’ai maintenant découvert que cela ne suffisait pas. La liberté comme but ultime ne m’a pas apporté la sérénité, mais plutôt une impression de perte totale. Depuis peu, je me suis ainsi ré enraciné, et je suis très fier de mes origines.

En sachant d’où je viens, je peux ainsi savoir qui je suis, je peux connaître mes limites, et je peux ainsi savoir où avancer. Je peux continuer à transmettre ce que j’ai reçu: la recherche constante du beau, du bien et du bon.

5 comments

  1. Bonjour,
    Merci de partager vos réflexions (j’ai trouvé votre blog en cherchant les vers dorés de Pythagore). Je ne vois pas bien en quoi le minimalisme « réenraciné » que vous prônez serait conservateur, ce qui est plutôt une catégorie politique alors que votre propos semble surtout éthique.

    Le progressisme en politique est l’idée que l’ordre social existant jusqu’à présent, principalement organisé autour d’inégalités sociales inutiles au bien commun, ne doit pas être conservé mais progressivement dépassé en vue d’un ordre social plus égalitaire, pour que le bonheur soit accessible à plus de monde. Le but est principalement de faire en sorte que la liberté d’organiser sa vie soit accessible à tous et pas seulement à quelques uns qui en plus se donnent le droit de décider comment les autres doivent vivre (comment se nourrir, se soigner, le temps de travail etc. au moyen du contrôle des médias et des politiques par quelques oligarques). Dans ce cadre, il me semble que personne ne dit que la liberté de disposer de soi-même suffirait au bonheur, mais que c’en est une condition essentielle et qu’il n’y a pas de raison que cette liberté soit favorisée chez certains et pas les autres.

    Cela ne me semble pas du tout incompatible avec un choix éthique de vie minimaliste qui n’oublie pas qu’avoir des amis et/ou une famille fait partie du minimum vital pour un être humain, là où c’est finalement plutôt le conservatisme politique, l’idée que les inégalités sociales sont pour l’essentiel une bonne chose puisque tout serait une affaire de mérite individuel, qui finit par prôner l’idée que l’individu pourrait se suffire à lui-même, même coupé de ses racines sociales, historiques, voire biologiques.

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    1. Bonjour cher Christian,

      Merci pour vos précisions qui permettent d’affûter nos avis.

      En effet, il ne s’agissait pas ici de parler politique. Mais plutôt de définir deux sortes de minimalisme. L’un qui est proche du système dominant qui prône l’individualisme coupé de toute racine, ce qui en fait finalement un autre type de consommateur moderne. Car même s’il ne se concentre plus sur le matériel, il continue à consommer l’immatériel, les loisirs ou même les personnes. Et je parle surtout pour moi même qui me suis retrouvé dans ce profil plusieurs années.

      L’autre minimalisme plus classique si je puis dire est celui qui se rapproche de l’épicurisme où les liens avec les amis sont le plus importants. Je ne parle pas de l’épicurisme mal interprété qui chercherait le plaisir et la consommation infinie, mais celui qui se met des limites. Certainement, la liberté y est aussi importante, mais il s’agissait d’une liberté saupoudrée d’esprit grec: la liberté avec chaque chose à sa place, dans un cadre bien déterminé et non pas la liberté infinie qu’on nous sermonne actuellement.

      Concernant le conservatisme politique, je vous renvoie plutôt aux œuvres de Jean-Claude Michéa (ici le résumé de son livre Les mystères de la gauche). À la fin de votre commentaire, lorsque vous parlez de conservatisme politique, je crois que vous parlez d’une certaine droite politique actuelle. La gauche et la droite politique actuelle ont quasi le même agenda et les mêmes courants idéologiques, celui de se couper comme vous dites de toutes les racines, même biologiques comme cette tendance néoféministe ou transgenre.

      Le conservateur, ou traditionnel, ou classique au sens philosophique et non politique si je puis dire, je le définis au contraire comme quelqu’un qui cherche à garder ses racines et qui connaît ses limites et les limites du monde et de la nature.

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  2. Bonjour,
    Merci pour votre réponse.
    Je parlais bien de la liberté au sens juridique de l’article 4 de la DDHC et non de la licence que tend à apporter l’accumulation de technologies modernes, qui n’est certes qu’une pseudo-liberté. La liberté de disposer de soi-même tant qu’on n’empêche personne de faire de même reste une condition de la vie bonne qu’on trouve à mon sens déjà chez les grecs, épicuriens, stoïciens ou autres – notamment chez ceux qui ont compris qu’en nous libérant des préjugés comme la peur de la mort ou des dieux, nous pourrions retrouver une satisfaction naturelle d’exister. Ces philosophies classiques peuvent justement déjà en cela être qualifiées de progressismes sur le plan éthique comme politique (ce qui ne peut guère être séparé) : non pas accumuler des progrès pour accumuler des progrès, mais progresser vers une vie meilleure d’autant plus grande et solide qu’elle est partagée effectivement par le plus grand nombre.

    Même si on ne trouve pas précisément de critique politique de l’esclavage chez les philosophes les plus connus de l’antiquité, le simple fait d’avoir enseigné à distinguer la vraie liberté de la fausse allait tendre avec le temps à l’idée exprimée finalement par Bakounine que « je ne suis vraiment libre que lorsque tous les êtres humains qui m’entourent, hommes et femmes, sont également libres. » Or une telle idée de la liberté passe nécessairement par une renonciation au luxe et à tout ce qui sert à distinguer le riche du pauvre, l’accumulation de superflu ; à commencer par la puissance d’imposer à autrui sa façon d’organiser son temps par l’emploi.

    Et certes, dans une perspective stoïcienne notamment, un esclave au sens juridique pouvait être plus libre qu’un maître soumis à ses passions et surtout à l’obsession pour les honneurs mais l’ancien esclave qui avait bien vu cela, soit Épictète, avait tout de même eu le privilège d’avoir reçu une instruction approfondie et le droit de poursuivre ses recherches avant de devenir capable de raisonner suffisamment par soi-même. Être pour l’accès de tous à une éducation suffisante pour devenir maître de ses propres pensées au lieu de reprendre aveuglément celles qui nous entourent, et ainsi autant que possible maître des passions qui en découlent, voilà qui reste un des piliers du progressisme, que la télé poubelle de notre temps a manifestement pour but de remplacer, afin de rendre notre temps de cerveau disponible disposé à accepter la soumission de l’homme comme de l’ensemble du vivant à l’impératif capitaliste.

    Aujourd’hui, à l’occasion d’une énième réforme des retraites, il est question de savoir si le temps de la vie humaine doit être consacré à l’accumulation de capital (avec l’extractivisme, le productivisme et le consumérisme qui en découlent) ou si notre vie a fondamentalement vocation au libre épanouissement de nos facultés. Manifestement, ceux qui ont le pouvoir, la puissance économique, les médias et les serviteurs politiques favorisés par ce système, prônent la première option et ont les moyens de l’imposer à la population, sachant que dans le temps de travail soumis à l’impératif capitalistique, l’individu ne dispose plus de lui-même.

    Mais être pour plus de temps libre et moins de temps soumis à la dictature du capital, pour une éducation suffisante et les moyens sanitaires, économiques et juridiques pour tous de s’épanouir convenablement, cela n’empêche en rien la conservation de nos racines et des limites qui nous sont utiles. Conservatisme en politique signifie conservation des inégalités sociales qui permettent l’ordre social actuel, justement caractérisé depuis l’antiquité par l’accumulation de richesses symboliques et physiques.

    Seuls quelques gauchistes confus s’imaginent qu’être progressiste politiquement signifie vouloir tout changer et ne strictement rien conserver tandis que le conservatisme refuserait absolument tout progrès, même technique. Après, le principe de libre disposition de soi implique par exemple non que tout le monde deviennent homosexuel, évidemment, mais que le sexe de ceux qui s’engagent à se soutenir mutuellement et qui souhaitent dans ce cadre fonder une famille, autrement dit se marier, soit indifférent.

    Si vous prenez le programme de LFI par contre, vous trouverez, à la différence des programmes de droite et d’extrême droite, l’idée de favoriser le temps libre pour tous pour permettre une vie plus humaine tout en allant vers un travail mieux contrôlé par ceux qui le font au lieu d’être aliénés aux intérêts de leurs employeurs, une sobriété plus respectueuse de notre environnement et des gens, avec la possibilité pour chacun de vivre parmi les siens et pour les siens au lieu d’être aveuglément asservis à la croissance du PIB. Vous n’entendrez pas Mélenchon ou d’autres de son mouvement comme Ruffin prôner une vie déracinée, consumériste et transhumanisée mais au contraire le droit de vivre pour autre chose que de permettre à quelques oligarques délocalisés et acculturés d’augmenter indéfiniment leur emprise sur nos sociétés, à commencer par soi-même et les siens, quelle que soit sa classe sociale.

    Quant à Michéa, il fait plusieurs observations pertinentes, mais il réduit la Révolution de 1789 à l’avènement du libéralisme économique découlant du libéralisme politique de Locke et de Montesquieu. Il oublie qu’à côté de la révolution bourgeoise, il y a aussi un mouvement révolutionnaire issu de ce qu’on a appelé les Lumières radicales. A la différence des libéraux qui prônent surtout la liberté d’une classe sociale plutôt favorisée par l’Ancien régime et le droit de la servir pour les autres, Voltaire en étant un des exemples les plus emblématiques, une grande partie de ceux qui sont contre le droit de véto du roi, ce sont les lecteurs de Rousseau et de quelques autres encore plus radicaux, qui sont pour une égalité en droits beaucoup plus réelle que celle que concèdent les libéraux, notamment par un retour à un mode de vie plus simple pour tous, au service du bien commun et non de l’intérêt de la classe dominante.

    Pour cela il faut se libérer de l’emprise des possédants, ce qui n’est pas possible si on veut aussi conserver ce que le passé nous a légué de positif : la possibilité de compter les uns sur les autres, dans le cadre de structures comme la famille ou le droit d’avoir des amis. Si on veut fonder une famille encore aujourd’hui, même s’il y a tout de même eu certains progrès, il faut le plus souvent accepter un ordre social organisé au service des intérêts d’une caste économique dominante précarisant et fragilisant toujours plus ce qui fait notre humanité même.

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    1. Merci cher Christian pour ce commentaire qui rajoute pas mal de compléments à notre discussion.
      La philosophie grecque a sûrement de quoi nous inspirer encore aujourd’hui. Et quant au progrès, je crois que nous avons le même point de vue. De nos jours, il s’agit de progresser pour le plaisir de progresser. Nous recherchons la nouveauté permanente pour la nouveauté en soi et sans autre but. Par contre, je suis tout à fait partisan de chercher à devenir une meilleure personne tout en connaissant ses limites.

      Je compte davantage pousser mes recherches sur ce sujet. Entre temps et sans transition, le prochain livre que je compte lire est celui de Pascal Bruckner avec « L’euphorie perpétuelle ».

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